Sur le même principe que le dossier sur les Bitmap Brothers, j’ai décidé de m’attaquer à un autre studio que j’affectionne particulièrement : Bizarre Creations. Fondé au départ sous le nom de « Raising Hell Software » en 1988, c’est en 1994 qu’il fut renommé en Bizarre Creations par Martyn Chudley et Bryan Woodhoouse, au sein de Liverpool, en Angleterre. Le nom initialement proposé était de « Weird Concepts » avant de finalement trouver un synonyme plus attrayant directement depuis Word. Comme très souvent à cette époque, l’équipe était composée d’une poignée de personnes prêtes à sacrifier de nombreuses heures de leur vie pour assouvir leur passion… et la nôtre, avant de finir son aventure en 2011 avec un effectif d’un peu moins de 200 personnes !
Avant de revenir en détail sur les périodes et titres marquants de cette société, voici la liste des titres qui ont été développés issue de leur site officiel (via WaybackMachine). Sur cette page où apparaissent les titres du plus récent au plus ancien, il ne manque que 007 Bloodstone, qui pour une raison obscure n’apparaît pas. Je vais, évidemment, revenir sur la plupart d’entre eux, du moins les plus symboliques, en essayant de vous apporter le maximum d’informations à leur sujet.
Des débuts timides avant un tonitruant démarrage sur PlayStation
Avant d’être approchés par Psygnosis sous l’ère de la PlayStation, l’équipe a commencé à développer des titres à compter de la fin des années 80 comme Combat Crazy sur Commodore 64, Fatal Rewind (également appelé « Killing Game Show ») sur les micro ordinateurs 16 bits tels que l’Amiga 500 ou l’Atari ST ou encore WizNLiz sur Mega Drive et Amiga 500. Ces trois titres n’ont pas forcément eu un impact énorme pour la suite des évènements si ce n’est que ce dernier a été édité par Psygnosis et a donc permis aux hommes de Chudley d’étendre leur réseau pour mieux se faire connaître auprès de cette société ô combien importante pour la suite des évènements.
Alors que Bizarre Creations, composée de seulement cinq personnes, avait préparé une démo assez impressionnante d’un certain « Slaughter » (dont on ne retrouve rien aujourd’hui sur les internets), Psygnosis – en tractation avec Sony – ont décidé de faire confiance au studio de Liverpool en leur permettant de développer le premier jeu de Formule 1 sous licence officielle pour la première PlayStation. A l’époque ce n’était pas rien pour cette petite équipe, souvenez-vous que Psygnosis sur la machine de Sony c’était ça : WipeOut, Destruction Derby entre autres. Licence officielle des écuries de 1995 avec pilotes et circuits incluant un mode multijoueur via cable link, et des commentaires de Philippe Alliot pour la VF, Jochen Mass pour la version Allemande et Murray Walker illustre voix des circuits de F1 pour la version originale.
Bref, voilà le premier titre qui fit la renommée de Bizarre. Tout le monde est aujourd’hui encore d’accord pour affirmer que Formula 1 a mis une véritable claque à l’ensemble des joueurs de par son réalisme, sa fluidité pour atteindre le summum pour un jeu de F1 sur console ! Un jeu à mi-chemin entre simulation et jeu d’arcade, simple à prendre en main pour une course rapide mais plutôt complexe à maîtriser dès lors que l’on souhaite vraiment faire des courses parfaites. Il est très rapidement devenu l’une des meilleures ventes en Europe de par sa qualité et son contenu. Au bout d’un an d’exploitation, le millionième exemplaire avait été vendu dont quasi 200 000 rien qu’en France. Puis, a suivi la mise à jour 1997 de ce Formula One, avec des graphismes plus fins et surtout une jouabilité encore plus précise. Bien qu’aujourd’hui, la technique ait pris le dessus avec la course aux graphismes, il n’en reste pas moins une référence dans le domaine des jeux de Formule 1 ayant montré la voie aux actuels F1 de Codemasters.
Un rapprochement de Bizarre Creations et SEGA pour solidifier les bases
Après un jeu de Formule 1 ô combien étonnant, Bizarre se rapprocha de SEGA et de sa Dreamcast pour accoucher de deux projets. Le premier, Fur Fighters, est un jeu de tir à la troisième personne comme nous avons commencé à en voir arriver à cette époque où s’entre-mêlent plate-forme, combat et réflexion. Mettant en scène des animaux à fourrure, l’univers est plutôt mignon où là encore la fluidité est de mise même si l’aspect graphique aurait pu être plus léché et travaillé. Au final, il s’agit d’un petit jeu sympathique qui ne fera pas forcément date dans la ludothèque de Bizarre mais qui posa les bases d’un futur jeu de tir à la troisième personne avec notamment un mode multijoueur en écran splitté à 4 (qui a reconnu The Club ?).
L’ultime création de Bizarre sur Dreamcast
Quand il fut question d’aborder un jeu de courses, qui de mieux que SEGA pour accompagner Bizarre Creations ? SEGA, avec ses noms ronflants comme OutRun, SEGA Rally, Daytona USA avait pour habitude de proposer des titres à consonance « gamer » entendez par là, des jeux difficiles à maîtriser ou qui demandent un long temps d’adaptation malgré une prise en main assez simple de prime abord. Quand on regarde ce premier titre de Formule 1, on se dit que les gars de Bizarre Creations ont quelque chose permettant de faire réellement de grandes choses et c’est ainsi qu’un nouveau type de jeu commença à être élaboré : Metropolis Street Racer.
Kats Sato de SEGA Europe eut la lourde tâche de trouver l’équipe en charge de ce jeu de Formule 1 qui marqua fortement les esprits. Selon Damien Mc Ferran (Redbull), « au European Computer Trade Show de cette année-là, Sato s’approcha d’un stand de démonstration du jeu F1 et débrancha le câble d’alimentation pour forcer le jeu à redémarrer et à afficher les crédits d’ouverture. Le nom qui apparut était celui de Bizarre Creations, studio basé à Liverpool qui avait auparavant travaillé sur des jeux de plateforme 16-bit tels que The Killing Game Show et Wiz ‘n’ Liz, sous le nom de Raising Hell Software ». Au-delà de la claque graphique proposée avec la représentation de Tokyo, Londres et San Francisco, et son système de jeu en temps réel, MSR se distingue également par son aspect musical entièrement orchestré par l’illustre Richard Jacques. En effet, on y retrouve à la manière d’un GTA, un concept de radio propre à chaque ville où les morceaux sont entrecoupés d’échanges entre animateurs, publicités locales… d’ailleurs les titres joués sont tous en lien avec la ville avec de la country pour les US, de la pop pour le Royaume Uni et plutôt de l’électro pour le Japon.
Enfin, le point d’orgue de cette œuvre d’art réside surtout dans son gameplay qui récompense le pilote en fonction de ses aptitudes à maîtriser son véhicule. En effet, il reçoit des « Kudos » dès qu’il exécute une figure comme un dérapage contrôlé ou encore un tronçon parfait sans toucher un concurrent ou élément du décor. C’est ce qui amènera les bases des futurs jeux Bizarre (PGR) mais aussi de la licence Forza Horizon. Malheureusement, de nombreux reports du titre afin qu’il soit le plus fignolé possible, une console destinée à une mort tragique ainsi qu’un constructeur voué à devenir simple éditeur auront eu le dessus sur le succès commercial du titre… contrairement au succès critique et d’estime que l’on connait de MSR depuis de nombreuses années.
Si toutefois vous souhaitez en apprendre plus sur ce titre, je vous invite à écouter le podcast que nous avons enregistré pour SEGA Legacy.
Une union Bizarre Creations et Microsoft pour l’apogée du studio
Avec un Formula 1 et un Metropolis Street Racer sorti en fin de course de la Dreamcast, Bizarre Creations s’est doté une solide réputation pour ses jeux de courses. Ce qui a permis au groupe de prendre un réel essor à la fois sur les plans économique mais aussi sur la notoriété acquise. C’est ainsi que Microsoft a choisi de se lier au studio de Liverpool afin de leur commander une saga qui marqua profondément les joueurs Xbox mais aussi les férus de conduite : Project Gotham Racing. Les jeux de cette série ont été acclamés pour leurs graphismes époustouflants, leur gameplay solide et leur mode multijoueur en ligne innovant. Ces titres étaient exclusifs aux consoles Xbox de Microsoft qui a su admirablement les mettre en avant en tant que system sellers de ses machines. On peut retrouver un peu le sel de ce qu’a fait cette série sur des titres comme Forza Horizon de nos jours mais nous aborderons le sujet un peu plus loin.
Sur la première génération d’Xbox, on peut retrouver les deux premiers épisodes de cette saga, qui fut ensuite complétée par deux autres exclusivités sur Xbox 360. Chacune apporta son lot de nouveautés pour pousser l’expérience plus loin avec toujours comme base le premier opus Metropolis Street Racer (sorti sur Dreamcast). L’avènement du jeu en ligne au cours de ces années amènera la série vers des standards encore utilisés aujourd’hui comme dans les épisodes Horizon de la franchise Forza… souvenez vous du mode en ligne de PGR3 et de son Gotham TV ou encore des différents modes de jeux de PGR4 !
Bizarre Creations a en parallèle travaillé sur une autre série : « Geometry Wars » qui connut 3 épisodes. Un jeu de tir à défilement latéral intense (à mi chemin entre le shoot’em’up et le jeu de réflexion), qui a commencé comme mini-jeu dans « Project Gotham Racing 2 », mais qui a finalement été publié comme un titre autonome via le programme Xbox Live Arcade. Un petit titre sans réelle prétention en standalone mais qui était bougrement sympathique à essayer entre deux courses sur PGR et qui eut droit au final à plusieurs épisodes sur différents systèmes du Xbox Live Arcade à Steam en passant par la DS et la Wii.
Une longue descente aux enfers pour Bizarre Creations avec Activision
Cependant, malgré leur succès, la société a connu des difficultés financières au fil des ans, et en 2007, elle a été achetée par Activision Blizzard. La licence PGR fut laissée à Microsoft Games Studios et tomba dans l’oubli après le 4ème épisode. Bizarre Creations continua de travailler sur des jeux toujours confidentiels, comme « The Club » édité par SEGA, un jeu de tir à la troisième personne en 2008 (genre de shoot’em’up pour son aspect scoring en mode TPS), et « Blur« , un jeu de course avec des éléments de combat façon Mario Kart réaliste, en 2010. Des jeux relativement incompris par le grand public qui n’ont pas su déceler le potentiel de ces titres (solo et multi !) un peu hors du commun car peu comparables aux Gran Turismo ou Call of Duty auxquels ils ont été injustement confrontés.
Dernier titre développé par Bizarre et édité par Activision : 007 Blood Stone. L’arrivée dans le groupe Activision a permis de travailler sur cette licence prestigieuse qu’est celle de James Bond. Même si le titre n’est pas parfait (notamment sur les courses poursuites en voitures ! un comble !), il a été affublé d’un MetaScore de 66 sur Meta Critic… rien d’exceptionnel mais je dois avouer que j’avais passer un bon moment tout de même aux commandes d’un Daniel Craig crédible dans une histoire très « Bondesque », où les mouvements de l’acteur ont été repris des films et où l’un des scénaristes des films, Bruce Feirstein, est intervenu pour construire la trame narrative. Comble de l’histoire, les poursuites en voiture sont assez étonnantes de mauvaise qualité quand on les compare à ce que Bizarre savait faire sur les PGR notamment.
Malheureusement malgré des critiques assez positives, l’absence de succès commercial de ces titres a entraîné la fermeture de Bizarre Creations en 2011. La nouvelle a été un choc pour les fans de la société, ainsi que pour les employés eux-mêmes. Les raisons de la fermeture de Bizarre Creations ne sont pas spécialement claires, mais il est possible que les difficultés financières de la société aient joué un rôle dans la décision. En tout cas, le rapprochement avec Activision n’y est certainement pas étranger.
Où sont aujourd’hui les anciens dév de Bizarre Creations ?
Au final, l’histoire de Bizarre Creations est celle d’une société qui a réussi à créer des jeux sortant des sentiers battus. Malheureusement, celle-ci fut incapable de maintenir sa viabilité économique à long terme malgré des appuis stratégiques (SEGA puis Microsoft). La fermeture de la société a été un coup dur pour les employés et les fans, mais elle a également rappelé la difficulté de réussir dans l’industrie du jeu vidéo, même avec des idées innovantes et du travail propre.
A l’heure actuelle, il est difficile de retracer l’ensemble des développeurs décimés un peu partout dans l’industrie. On peut retrouver cependant en retrouver chez Playground Games (Forza Horizon series, Fable 2020), Sumo Digital (Hot Shot Racing, Sonic Team Racing…), Codemasters (Formula 1 depuis 2010, DiRT, Grid…). Une poignée d’entre eux ont par ailleurs créé un nouveau studio basé au bord de la Mersey : Lucid Games (Destruction AllStars sur PS5 ou encore Switchblade). Il est vrai que l’on peut retrouver un peu du sel de Bizarre Creations dans ces titres sortis dernièrement mais rien ne pourra malheureusement remplacer la société à la citrouille… Adieu Bizarre, tu nous as régalé et nous continuerons à chérir tes titres entrés dans l’Histoire du JV.